On a bien rigolé avec les mauvaises mœurs, les bonnes manières, tout ça. Mais c’est fini, enfin on fait une pause. Aujourd’hui on va parler droit pénal, on va parler époque romaine, et on va surtout évoquer la vengeance privée de -753 à -151. C’est super intéressant, et en plus je m’amuse à glisser des locutions latines, pour faire la belle.
Imagine le contexte, on est à Rome. Dans une grande famille patriarcale. Et là, la grande famille patriarcale de la rue d’à côté tue ton frère/ta femme.
- La vengeance illimitée
Ab urbe condita et jusqu’en -449 avec les Duodecim Tabulae ou la Loi des Douze Tables, la vengeance est obligatoire, elle a deux fonctions principales et a des conséquences terribles.
L’obligation de se venger
Ton frère est tué par le voisin, il ne peut donc pas se venger lui-même. Il est mort. Pour ne pas déshonorer la famille, le père, le frère, l’oncle, la sœur, la mère, bref celui qui veut doit venger la victime, mais il en faut un. C’est compliqué quand y a pas de témoin et aucune preuve. Mais si on sait qui est l’auteur du crime, les membres de la famille qui ne cherchent pas à se venger peuvent se voir punis d’une amputation du poing (eh oui !). Dans le cas de l’héritier ab intestat, c’est-à-dire lorsque la personne décède sans avoir fait de testament, l’héritage revient aux descendants directs, il sera privé de son héritage, tout va à l’état, bien fait ! Enfin, celui dont la victime est sa femme, en cas de refus de vengeance verra disparaître la dot.
Les fonctions de la vengeance
La vengeance a pour première fonction l’élimination du délinquant, c’est une mesure de protection sociale pour préserver l’ordre public et empêcher la récidive. On n’a pas encore trouvé mieux.
Enfin, la seconde fonction est de compenser le dommage subi par une sanction égale. Tu tues, je te tue. En fait, c’est simple. Si la famille connaît une satisfaction immédiate en se vengeant, encore que… à l’époque romaine, la vengeance possède aussi un caractère religieux et social. Après le trouble commis au sein de la société, il faut apaiser les dieux et la communauté par la mort de l’agresseur.
L’application de la vengeance
La vengeance n’est pas réglementée, celui qui prend les armes pour venger son frère se verra lui même découpé par le frère de celui qui a été tué par vengeance, et cætera… Donc, on en arrive à la disparition de certaines familles après des années de guerre privée. C’est con.
De plus, il faut savoir que la volonté n’est pas du tout prise en compte, ce qui importe c’est le résultat. La mort, en l’occurrence. Qu’il s’agisse d’un assassinat, soit un meurtre prémédité, ou d’un accident, la famille de la victime peut/doit se venger.
Petit à petit, la société va tenter de réglementer la vengeance pour limiter les guerres privées qui déciment des familles entières. Ainsi vont être mises en place la loi du talion ainsi que la Poena.
- La vengeance limitée
La compensation par la loi du talion
La loi du talion, qu’est ce que c’est? Ca vient du latin talio, qui signifie « même signification ». Ainsi le principe est « tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie. »
Exempli gratia, si on te crève un œil, tu crèves l’œil de ton agresseur. Si on te tue, ton père le tue. Le but étant de ne pas faire plus de mal que celui dont on a été victime.
Le cas de « vie pour vie » peut prendre une autre définition que celle de se venger en tuant l’agresseur. En effet, le fils tué qui travaillait dans les champs en famille, dans un commerce ou autre, ne peut plus travailler et c’est une perte économique importante pour la famille. C’est pourquoi à la place de tuer l’assassin, le chef de famille peut décider de ne pas se venger par la mort, mais plutôt par la mise en esclavage. Encore faut-il pouvoir garder sous les yeux celui qui a tué un membre de sa famille. Mais ça existe. Le pater familias peut aussi décider d’en faire son esclave, puis de le tuer. On fait ce qu’on veut d’un esclave. C’est bien l’avantage d’en avoir un.
La compensation pécuniaire
La difficile application de la loi du talion pour de nombreux crimes la fera disparaître au profit d’un accord financier entre les parties, la poena.
La poena, qu’est-ce que c’est ? C’est une somme fixe à payer indifféremment de toute considération individuelle. C’est-à-dire que la somme à payer ne dépend pas de l’agresseur, qu’importe son statut social, mais bien de la valeur du dégât causé. Pour un vol ou une dégradation elle peut correspondre à 4x le prix du dégât : ce n’est pas qu’une réparation, c’est une sanction.
Seul le pater familias peut sortir les billets et il va être amené à payer la poena lorsque la personne sous sa responsabilité a commis une infraction, c’est le cas du fils de famille ou de l’esclave. Le pater familias peut aussi refuser de payer, ainsi il abandonne la personne responsable à la victime ou la famille de la victime. C’est ce qu’on appelle, chez nous les juristes, l’abandon noxal. (Je fais comme si je me sentais un peu juriste pour froisser personne, mais en vrai je préfère l’histoire).
Je reviens bientôt vous raconter d’autres histoires, des plus drôles avec des peines atroces, des bûchers, des rivières et des singes.