Au Moyen-Age, pas de Rolex, pas d’agenda gmail, pas de rendez-vous dans 6 mois chez l’ophtalmo. Non. Les mecs n’ont pas la même perception du temps que nous. L’année s’organise en fonction des saisons, des fêtes religieuses et des signes astrologiques (viens trouver le tien, selon les Heures d’un diocèse de l’est de la France) et surtout, grâce aux livres d’Heures.
La notion de temps au Moyen-Age
La journée des clercs :
Une journée classique est régulée par les sonneries des cloches des églises ou des monastères.
À minuit, les matines (tu sais, la chanson Frère Jacques ? Dormez-vous ? Dormez-vous ? Sonnez les matines, sonnez les matines dingdingdong) (de rien), à 3 h, les laudes, prime vers 6 h, puis à 9 h, c’est la tierce, sexte à midi, none à 15 h, vêpres vers 18 h et enfin, complies à 21 h. Entre chacune de ces cloches, les mecs prient, des trucs différents. Un coup on sanctifie la nuit, ensuite on rend grâce à dieu pour le jour qui se lève, et puis à midi on célèbre le Christ sur la croix… On s’occupe quoi.
L’année des paysans :
Seuls les clercs guidés par leurs prières ont une notion du temps très claire. Les paysans, eux vivent avec le soleil, le temps et les saisons. Ils représentent 9/10ème de la population. C’est pas rien. Pour eux, tout est cyclique : il fait très froid, il fait un peu chaud, il fait très chaud, il fait un peu froid. Et puis ça recommence, indéfiniment, jusqu’à la mort. La nature donne aussi de bons indices. En hiver, il n’y a rien. On laboure et on sème. Au printemps, ça pousse et on chasse. En été, on moissonne, et lorsque c’est l’automne, on termine les récoltes tardives (maïs, raisin…) et on stocke.
Des calendriers peuvent être gravés sur les avants de certaines cathédrales (Amiens, Chartre, Paris, Reims, Saint-Denis ou Senlis) sous forme de signes astrologiques et de représentation des activités saisonnières. Sinon, toutes ces informations sont inscrites dans les Livres d’Heures, que seuls les mecs qui ont du fric peuvent se payer. Ceux qui savent lire, les aristo et riches bourgeois.
Un livre d’Heures, qu’est-ce que c’est ?
Un livre d’Heures est un livre liturgique à l’usage des riches laïcs. C’est à dire ? C’est un bouquin qui parle de religion destiné à la population. On le nomme Livre d’Heures à partir du XIVème siècle, Horae en latin, le propriétaire doit l’ouvrir sept fois par jour, aux heures canoniales, avec le son des cloches des églises donc, les matines, les vêpres et compagnie. Depuis le XVIème siècle, il peut être rédigé en Français, et ça, c’est pratique.
La composition des Heures
Tous les livres d’Heures sont composés de la même façon. Les vingt-quatre premières pages sont consacrées aux signes du zodiaque et aux activités saisonnières (voir les deux illustrations ci-dessus). Il s’agit en fait, d’un calendrier. Sont notés également le cycle lunaire, les solstices et les équinoxes. Le calendrier, c’est pas uniquement pour se rappeler l’anniversaire du cousin relou et de la vieille tante. Non, surtout, c’est pratique pour l’agriculture de connaître les phases lunaires. Les grands seigneurs et propriétaires fonciers y trouvent leur compte.
Ensuite, c’est ni plus ni moins qu’un recueil de prières. Et il y en a beaucoup. Vraiment beaucoup. Selon un ordre particulier, d’abord les évangiles (voir les enluminures du livre d’Heures de Jeanne de France : Saint-Marc, Saint-Luc), la vie de la vierge, des saints (voir ci-dessous Saint Sebastien et Sainte Barbe) et les fêtes religieuses.
Les livres d’Heures royaux
Les manuscrits royaux contiennent beaucoup plus de prières, d’enluminures et sont beaucoup plus gros. Certains font jusqu’à 900 pages. On peut y trouver les Heures de la Croix pour méditer sur les étapes de la Passion du Christ ; les Heures du Saint-Esprit (voir Heures du Duc de Berry) pour la Pentecôte et le Baptême du Christ.
À ce qu’on trouve généralement dans les Heures, s’ajoutent d’avantage d’extraits des Évangiles, d’offices des morts, des prières et de nombreux suffrages des saints. Les enluminures sont aussi beaucoup plus riches (petite selection de torture, Heures de Jeanne de France, et de la crucifixion, parce que j’aime bien ça, les mecs morts sur des croix: Horae ad udsum Trecensem, Heures de Jeanne de France, Heures d’Isabeau de Bavière).
Le livre d’Heures entre les mains de tous
Après 1500, ce genre de bouquin est produit en très grand nombre, surtout depuis qu’ils sont écrits en Français. Le peuple veut un peu s’émanciper de l’Église, de l’institution, des discours du dimanche matin. La religion devient plus intime, à la maison, avec un livre dans la poche. Ou dans la bibliothèque (il existe de très gros livres d’Heures).
Ça veut pas du tout dire qu’au XVIème siècle le peuple devient antireligieux, bien au contraire. La possession des Heures devient un signe de reconnaissance sociale. Un peu comme une étudiante de première année de droit qui transporte son code civil partout avec elle. La deuxième année, elle transporte un code pénal. Ensuite, elle va sur Legifrance, parce que bon, c’est lourd quand même. Bref, c’est pour montrer qu’on sait lire et qu’on respecte les valeurs catholiques..
La morale des Heures :
Le livre reste un truc religieux, il y a donc les évangiles, les prières et surtout, la bonne morale catholique. « Mortel vivant pense et croy que la fin sera enfer ou paradis sans fin » pour ceux qui ne suivent pas, ça veut juste dire, respecte la morale durant ta courte vie, sinon tu vas vivre aux enfers toute l’éternité. Non négociable. En fait, je viens de résumer un livre d’Heures en une phrase. (Voir Heures du Diocèse de Flandres)
Comment réaliser un livre d’Heures ?
Alors ça les copains, c’est un vrai bordel, il faut plusieurs années pour terminer un joli livre. Dans un premier temps, il faut réaliser la maquette. C’est à dire qu’on structure la page en fonction des écritures et des emplacements pour les enluminures. Ensuite, deuxième étape, l’écriture. Après, on reprend les majuscules et début de lignes en couleur. Quatrième étape, on dessine à la plume, d’abord les fonds, les monuments, le ciel, puis le premier plan, et en dernier, les personnages. Enfin, cinquième étape, on décore les marges, et lorsqu’on voit celles des Heures de Jeanne de France ou celles du duc de Berry, on a du mal à imaginer le nombre d’heures passées dessus.
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Internet, je te dis à jeudi pour un article qui ne parle pas du Moyen-Age. Salut ♥
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Les illustrations
- Heures de Jeanne de France (images des paysans, des évangiles, de la crucifixion et des marges) ; Heures d’Isabeau de Bavière (image de la crucifixion avec les dragons) ; Heures de Charles VIII (image de la tête coupée)
- Heures d’Étienne Alleaume (images des saisons et des saints) ; Livre d’Heures à l’usage de Cambray (images du Baptême, de la torture, de la descente de la Croix, de la Sainte trinité et de la mort) ; Livre d’Heures à l’usage d’un diocèse de l’est de la France (Images des 12 signes astrologiques) ; Livre d’heures en latin à l’usage d’un diocèse de Flandre (image de la mort) ; Horae ad udsum trecensem (images de la crucifixion et de la Sainte Trinité) ; Livre d’Heures du Duc de Berry.
Le Moyen-Age
- #PassionCathare : Tout savoir (ou presque) sur le catharisme _ Une bataille, un coit, et au lit, l’histoire de Louis XI _ Louis XI, pas facile d’avoir une maîtresse. _ Jeanne de France, le destin de la moche, boiteuse, fille de roi. _ Jeanne Laisné, la femme à la hachette _ La tour de Nesle, lieu de débauche au centre de Paris
Interessant article, comme toujours.
Par contre, le mais en Europe, au moyen-âge, je suis sceptique 🙂
Début du XVIè, si.
Mais c’est vrai que le titre de l’article insiste sur le moyen-age, en réalité je parle beaucoup du XVIème 🙂
Très intéressant comme toujours, juste une petite remarque: il n’y avait pas de maïs au Moyen-Âge ! 😉
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