À la fin de la Seconde Guerre mondiale, on a viré les nazis, vidé les camps et on décide de reconstruire l’Europe, ça va être la mise en place du plan Marshall. Or, pour mettre un peu de baume au cœur des populations, le magazine américain Life commande au photographe français, Robert Doisneau, un reportage photo sur les amoureux de Paris. Bin oui, Paris.
Paris, ville de l’amour
Jules Renard a dit « Ajoutez deux lettres à Paris, c’est le Paradis ». C’est mignon hein. Sans doute qu’à la fin du XIXème siècle, quand le mec a dit ça, il n’y avait pas la ligne 13, ni la pollution, ni les connards. C’est pour ça. Mais depuis plusieurs siècles, Paris a une jolie réputation, celle d’être la ville de l’amour. S’il y a un mur des Je t’aime (depuis 2000) aux abbesses et le Pont des Arts anciennement couvert de cadenas d’amoureux (depuis 2008), c’est pas pour rien. Alors, j’sais pas si c’est l’architecture, son histoire, ses rues, ses lumières ou ses alcôves, mais on aime se balader dans Paris. Passer de Montmartre au Marais, ou encore du canal Saint-Martin à Saint-Germain, c’est vrai, c’est cool. Alors après la guerre, les Américains veulent jouer sur cette image-là pour redonner de l’espoir et mettre de l’amour dans le cœur des gens. Ni une ni deux, Robert Doisneau va partir en quête de photos de couples pour illustrer la légende autour de Paris.
Le baiser de l’Hôtel de Ville
Dans les années 50, notre bon Robert se promène dans les rues de Paris, appareil photo sur l’épaule, lorsqu’il tombe sur un couple d’amoureux dans un café. Ils se roulent des bonnes grosses pelles. Ça va, c’est la fin de la guerre, on a le droit d’être contents pendant quelques années. Même aux yeux de tous. Le photographe les trouve super, ils illustrent à merveille le PAris romantique, mais il est impossible de saisir le moment. Alors, Robert va voir le couple et demande aux jeunes gens s’ils acceptent moyennant finance de s’embrasser devant son objectif. Ils acceptent, la photo la plus connue du photographe est née.
Pendant quelques années, trente ans en fait, elle ne va pas connaître un grand succès. C’est dans les années 80, après avoir fait la Une du magasine Telerama, que les cartes postales, les rideaux de douche, les tasses, les lunettes de toilettes (non, ça j’invente, mais ça m’étonnerait pas) sont à l’image des amoureux de l’Hôtel de Ville. Et y’a bien 50 tocards de Parisiens qui pensent se reconnaître sur cette photographie. D’ailleurs, il va y avoir deux procès…
Les procès du baiser de l’Hôtel de Ville
En 1992, Françoise Bornet se reconnaît sur la photo. Elle est formelle, c’est un ami et ancien amant, Jacques Carteaud qui l’embrasse sur la photo. À l’époque, ils sont jeunes comédiens étudiants au Cours Simon et ont été engagés par Doisneau pour faire cette photo. Ils devaient s’embrasser dans divers lieux de Paris et être photographiés. Françoise demande 100 000 francs ainsi qu’un pourcentage sur les recettes futures liées au cliché. Son ami Jacques Carteaud affirme les dires, d’ailleurs, ils ont même un cliché d’eux deux offert par le photographe. Mais un autre couple, se reconnaît aussi et affirme être les figurants sur la photo, ce sont les Lavergne, alors qu’ils étaient juste fiancés. Les Lavergne demandent 500 000 francs pour atteinte à leur image ainsi que le retrait de la vente de tous les objets à leur image. Une enquête est menée sur leurs morphologies à travers d’autres photos et des témoins, comme celui du curé qui les a mariés.
À ces deux requêtes, Doisneau ne dément pas. En fait, il ne se rappelle pas trop.
Et le vrai couple est :
Le procès de Françoise Bornet sera rapidement réglé, c’est vrai, puisqu’un autre couple se réclame être les amoureux de la photo, c’est que les personnes ne sont pas reconnaissables sur l’image et donc ne peuvent pas demander de droits. Même si ce sont bien eux.
Pour les Lavergne, le procès va durer quatre ans. Dans un premier temps, le couple est débouté par le TGI de Paris en 1993. Ils vont faire appel, en rajoutant que Doisneau ne fait pas d’effort en affirmant pas clairement si ce sont eux ou non, entraînant ainsi un doute et la longueur du procès. Finalement, ce qui va clore le procès est le fait que quelques années auparavant, Robert a affirmé dans différents ouvrages et interviews avoir trouvé un couple dans un café et lui avoir demandé de poser. Ça a d’ailleurs fait scandale parce que la photo est en fait une pose, et non un vrai moment volé. Ainsi, les Lavergne ne sont pas les amoureux de la photo, dans le procès, ils ont annoncé avoir été pris en photo à leur insu.
Bref, le couple est bien celui de Françoise Border et Jacques Carteaud, mais, du fait qu’ils sont méconnaissables sur la photo, ils ne peuvent être indemnisés. Malgré le succès. Cependant, en revendant le cliché que leur avait donné Robert Doisneau, ils se sont fait 155 000 euros en 2005. Les coquins.
Pour conclure ces histoires de droit et de fric qui viennent gâcher la jolie photo, rappelons que Françoise Bornet a dit que « si l’instantané de la photo est faux, le baiser, lui, était passionnément vrai ! ». Et ça c’est mignon, alors j’aime bien.
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- Crédit photo: © Robert Doisneau (je veux pas d’embrouille)
- Controverses; une histoire juridique et éthique de la photographie. Daniel Girardin, Christian Piker. (Merci Mélanie, et les autres)
J’ai une reproduction de cette photo au dessus de mon bureau, sympa de connaître son histoire ! 🙂
Bonne continuation.
Sérieux c’est une pose Oo. Ben merde alors!
La plupart des photos de Doisneau étaient posées, c’est justement ce qui fait la spécificité de son énorme talent, des personnages qui posent alors qu’on a l’impression d’un cliché pris sur le vif.
Dans les années 70, j’ai eu l’occasion de passer quelques heures avec lui, j’avais vu une expo (à la FNAC, je crois) et je savais où il habitait. J’étais une gamine, il a été adorable avec moi, je lui ai montré mes photos (j’avais honte de rien !). Charmant papy, indulgent, il m’a donné quelques conseils.
Je n’oublierai jamais la modestie de cette homme, sa gentillesse.