Il y a un an, je vous parlais de l’entre-deux-guerres, des années folles qui n’étaient pas si folles pour une grande majorité de la population. Et puis, il y a les artistes. La vie à Montparnasse, l’alcool, la drogue, la peinture, la photographie, et il y a Kiki. Tous les liens dans l’article sont des peintures de Kiki.
Une enfance difficile
Alice Ernestine Prin est née le 2 octobre 1901, en bourgogne. Sa mère n’avait que 18 ans, son père 19. Enfin, elle croit, elle ne le connait pas tellement finalement. Sa mère était fauchée, son père venait d’une famille « respectable ». Du coup, sous la pression familiale il délaisse sa meuf pour se marier avec une autre fille « respectable », alors qu’il est sur le point d’être père. La naissance de la petite Alice se passe un peu mal, entre une rivière et un chemin. Le cordon autour du cou. Pas glop. Et puis le futur parrain arrive. Tout le monde va bien. Le parrain, contrebandier d’alcool de profession file une rasade à toute la famille. On pourrait croire que c’est la fête.
Et puis un jour, la mère d’Alice se casse à Paris. Laissant sa fille avec la grand-mère. La grand-mère n’a pas une thune. Faut dire qu’elle s’occupe des 6 enfants illégitimes de la famille. Ça en fait des bouches à nourrir. Et c’était pas facile tous les jours, mais Alice a écrit une phrase très mignonne à ce propos :
« On était 6 enfants de l’amour, nos pères avaient oublié de nous reconnaître ».
En attendant, c’était la misère, les enfants mangeaient peu, ils étaient sales et pour éviter les poux, la grand-mère tondaient les cheveux de tous le monde. Garçons et filles.
«J’avais un petit compagnon qui avait 8 ans et qui s’appelait Henri et avait de grands cheveux noirs bouclés….ce qui fait que je l’admirais, car moi j’avais toujours la tête rasée… »
Enfin, à l’école ça ne se passe pas très bien. Elle pourrait être brillante, mais on ne lui accorde aucun crédit, c’est une pouilleuse. Une pauvre qui ne mérite même pas qu’on la regarde. Alors la jeune fille va arrêter l’école et va partir rejoindre sa mère à Paris. Alice a treize ans.
Le départ pour Paris
Pour gagner de l’argent, Alice va devenir apprentie dans… différents domaines. Un coup elle est brocheuse, puis fleuriste, laveuse de bouteille ou encore visseuse d’ailes d’avion ! Eh oui. En 1917, elle a 16 ans et elle est bonne à tout faire chez des boulangers de la place Saint-Georges, dans le 9ème à Paris. Mais son patron, qui est vraisemblablement un fdp, n’hésite pas à la maltraiter. Un jour Alice se révolte contre les boulangers. Ce même jour, elle est renvoyée. Sa mère est furax, elle n’a pas les moyens de les faire vivre toutes les deux. Alice cherche un autre travail. On lui propose de poser nue pour différents sculpteurs. Évidemment, elle accepte. Elle gagne même plutot bien sa vie. Mais lorsque sa mère l’apprend, elle la vire de chez elle.
« Je ne veux pas d’une putain à la maison ! ».
En plein hiver, Alice se retrouve seule dans Paris. C’est la première fois qu’elle se sent aussi libre. Elle va pouvoir vivre sa vie, sans devoir rendre de compte. A personne. Les premiers temps, elle va vivre chez le peintre Chaïm Soutine, tout en passant ses journées à la célèbre brasserie La Rotonde. Or, à la Rotonde, la vie n’y est pas belle lorsqu’on a pas d’argent. Il faut être une grande dame et porter un chapeau pour s’installer en terrasse et pouvoir accéder aux toilettes, Alice n’en a pas. Ça va être la débrouille. Enfin, en 1918, la jeune fille va vivre avec un peintre juif polonais Maurice Mendjizki. Il a presque 10 ans de plus qu’elle, il va l’intégrer dans la communauté des artistes de Montparnasse.
La vie d’artiste
Rapidement, Alice va se faire appeler Kiki. Kiki de Montparnasse, elle a coupé ses cheveux au bol, se maquille les yeux de noir et les lèvres de rouge. Elle va rencontrer les plus grands peintres, quand elle ne pose pas pour eux, elle couche avec. Et parfois, elle fait les deux ! Elle devient l’amie d’Amedeo Modigliani et de Tsugouharu Foujita. D’ailleurs, avec ce dernier, ils vont créer l’événement lors du Salon d’automne 1922 avec la célèbre toile, Nu couché à la toile de Jouy.
« …Je pose aussi pour Foujita. Ce qui l’épatait chez moi, c’était mon sexe imberbe. Il venait fréquemment mettre son nez dessus pour voir si les…cheveux ne poussaient pas pendant la pose! il disait… « C’est igolo…pas poils! Pourquoi toi pieds sales? ». J’avais la manie de marcher pieds nus et il avait oublié de mettre des tapis… »
Depuis 1921, Kiki est la compagne et la muse de Man Ray. Le photographe Américain qui trouve qu’elle est « de la tête aux pieds, irréprochable ». Deux photos seront célèbres, celle avec le masque Baoulé, et le violon d’Ingres, en 1924. Avec lui, elle va rencontrer des grands noms, Trista Tzara, Louis Aragon, Paul Eluard, et bien d’autres !
« J’avais trouvé mon vrai milieu. Les peintres m’avaient adopté; finies mes tristesses, il m’arrivait encore souvent de ne pas manger à ma faim, mais la rigolade faisait oublier tout ça »
En 1928, Pablo Gargallo va faire son portrait en bronze doré, et c’est très beau.
Devant la justice, elle plaide la folie
En 1929 alors qu’elle est près de Nice, Kiki va avoir un petit problème avec la justice. Oh pas grand chose… Enfin…
« …Un soir, je vais retrouver des matelots amis dans un bar anglais où nous n’allons jamais. J’avais à peine ouvert la porte que le patron me crie: » Pas de putain ici! ». Je me précipite sur lui et lui lance une pile de soucoupe sur la figure. Mes copains entament la bagarre, mais la police du bateau arrive!… »
Lorsque la police arrive au bar, Kiki est déjà rentrée à l’hôtel. Le lendemain matin, elle apprend que le patron du Sprintz Bar a porté plainte. En fait, un commissaire et un gendarme sont venus la chercher directement dans sa chambre d’hôtel. Et Kiki, visiblement, elle n’a pas le réveil facile. Alors que les deux hommes lui demandent de hâter un peu le pas, elle frappe le commissaire avec son sac à main. Genre, grosse furie.
« Ton compte est bon ! braille-t-il aussitôt. Coups et blessures à la magistrature.«
Eh merde.
Elle est transférée à la prison de Nice, et le journal le Petit Niçois du 5 avril 1929 n’en fait pas un portrait très élogieux : « une fille aux moeurs légères, Alice Prin, âgée de trente deux ans, [sic] née à Paris […]. » En fait, tout le monde pense vraiment que c’est une pute qui vient dépouiller les marins de leur argent. Heureusement Man Ray va faire jouer ses connaissances et le commissaire ne va poser qu’une « déposition bénigne ». Vu que ça tombe en plein pendant les fêtes de Pâques, la procédure va durer, durer… Kiki passe plus de 10 jours en prison. Vu qu’on pense que ce n’est qu’une putain, on ne veut pas lui accorder une liberté sous caution. Enfin, lorsque Man Ray arrive à Nice avec une lettre du médecin de Kiki, elle peut sortir. Le docteur Fraenkel affirme que Kiki a les nerfs malades. C’est pour ça, elle s’est un peu emportée. C’est pas tellement tellement de sa faute. Lol.
Les années Broca
En 1929, Kiki rencontre Henri Broca. Elle ne le trouve pas beau garçon mais en tombe follement amoureuse. Tous les deux vont se soutenir. Henri fonde le journal Paris-Montparnasse. Kiki, qui écrit alors son premier livre de souvenirs, voit les premières pages publiées dans le journal. Et le journal est lu, pas par grand monde, mais par les bonnes personnes. On propose à Kiki une traduction de son livre pour les États-Unis d’Amérique. Wow. Ça enchante tout le monde. D’ailleurs, c’est Hemingway qui va en écrire la préface. Rien que ça. Sauf que. Bin oui, faut bien que ça foire parfois. Les États-Unis d’Amérique vont censurer le livre dont le contenu est jugé trop scabreux. Bouh, une femme qui parle de sexe. C’est honteux. C’est Dégueulasse. C’est les deux à la fois. Du coup, le livre va être un succès. C’est vrai, on veut tous ce qu’on ne peut pas avoir. En plus de ça, Kiki chante et danse dans les boites de nuit, elle gagne beaucoup d’argent, et ensuite elle retrouve son Henri Broca. Henri Broca qui se fait bien du souci pour son journal qui perdure uniquement parce que Kiki finance… Ça l’agace, ça le ronge. Il n’aime pas ça et devient un peu fou. Et puis beaucoup.
Entre temps, Kiki veut tenter le rêve américain, elle a des entrées aux studios de la Paramount. Et puis elle abandonne. Elle n’a pas envie. Elle rentre à Paris, chanter dans les bars. En 1934, Kiki pèse 80 kg, elle accumule le désespoir avec son mari fou, et sa mère morte, elle sombre dans la drogue.
« Une pincée de poudre… et je me sentais allégée, plus de soucis, plus d’ennuis, je ne voyais même plus que j’étais grosse »
Elle continue de poser. Pour Per Grogh notamment, qui trouve sa croupe très belle !
Les 20 dernières années de sa vie
En 1936, Kiki en a assez de chanter pour les autres, alors, elle ouvre son propre cabaret à Paris. L’Oasis, qui sera renommé Chez Kiki. Son nouvel amant deviendra pianiste. Ah non, c’est l’inverse. André Laroque, pianiste et accordéoniste va venir travailler Chez Kiki, et deviendra l’amant d’Alice. Il va, en quelques sortes, sauver les dernières années de Kiki qui goûte un peu trop à l’alcool et aux drogues. Ensemble, ils vont beaucoup travailler, c’est lui qui tape les souvenirs de Kiki de Montparnasse à la machine. Mais les feuilles attendront 65 ans avant d’être publiées.
Enfin, Kiki décède en 1953, après avoir réussi une cure de désintoxication et avoir dit:
« J’ai un amant depuis six ans. Je l’aime ! Il joue de l’accordéon avec une sensibilité étrange, il accompagne divinement mes chansons sentimentales ».
« Tout va bien »
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- Article illustré par Bénédicte Huet, tu peux aller voir son tumblr avec ses dessins (qui sont super).
- Souvenirs retrouvés, Kiki de Montparnasse
- Court métrage animé d’Amélie Harrault
clap clap !
(on y est presque)(d’ailleurs je vais boire un truc)