Aujourd’hui, je vous raconte une jolie histoire dans un contexte triste et sombre, celui de la guerre d’Espagne et de la Seconde Guerre mondiale. La jolie histoire, c’est celle d’Elisabeth Eidenbenz, une jeune femme qui va donner de son temps pour aider les jeunes mères des camps de réfugiés du Roussillon.
Toutes les photos de cet article ont été trouvées à l’exposition permanente de la maternité suisse d’Elne.
La guerre civile espagnole et la retirada
Elisabeth Eidenbenz est née en 1913, en Suisse, elle devient institutrice et exerce dans son pays et au Danemark. Face à la monté du danger et de la précarité liés à la guerre civile auxquels sont confrontés les enfants en Espagne, Elisabeth décide de rejoindre l’Asociación de Ayuda a los Niños en Guerra (Association d’aide aux enfants en guerre). En 1937, la jeune femme arrive à Madrid, elle va venir en aide à de nombreuses familles, et surtout aux enfants. A la fin de son service, elle rentre en Suisse, mais ne va pas tarder à repartir.
En effet, en février 1939, c’est la retirada. En gros, c’est le retrait des troupes républicaines. 450 000 Espagnols fuient le nouveau régime de Franco qui est loin d’être super rigolo, fuient la guerre, la douleur et la mort.
En France, il faut s’organiser. J’veux dire 450 000 personnes, c’est beaucoup. Et c’est compliqué. En mars 1939, il y a 264 000 réfugiés espagnols dans les Pyrénées-Orientales (Perpignan et alentours, pour ceux qui ne connaissent pas les départements), faut savoir qu’à l’époque, la population départementale s’élève à 240 000 personnes. Donc le nombre de personnes a doublé. Comment faire pour accueillir tout le monde dans des conditions décentes ? Les nourrir ? Les aider ?
On construit des camps… Alors c’est pas funky, mais on fait au mieux…
Argelès-sur-mer accueille plus de 40 000 personnes, il y en a 70 000 au Barcarès, 30 000 à Saint-Cyprien… Dans ces camps, la mortalité est très importante… 15 000 personnes décèdent entre janvier et juillet. Quand les enfants ne meurent pas de faim, ils meurent de dysenterie. Les nouveaux-nés ne tiennent que quelques jours. Les conditions d’hygiène sont déplorables. C’est bien simple, les réfugiés vivent sur le sable, ou la terre, dans le froid. Ils tombent malades, genre : diphtérie, typhoïde, rougeole, oreillons, coqueluche. Des trucs pas cool.
Alors Elisabeth Eidenbenz quitte la Suisse et arrive dans le sud de la France. A Brouilla, puis à Elne.
La maternité d’Elisabeth Eidenbenz
Au camp de Brouilla, Elisabeth assiste à des accouchements à même le sol, sur le sable, dans des écuries, au milieu de personnes malades, aussi décide-t-elle de mettre en place une maternité de fortune. Mais elle va faire mieux que ça. A Elne, au milieu des vignes, il existe une belle bâtisse, un petit château appartenant à la famille Bardou (les propriétaires de l’entreprise de papier à rouler JOB). Le toit tombe, la maison prend l’eau et il faut refaire toute l’électricité. Elisabeth ne se décourage pas, elle reçoit des dons de l’Europe entière et les locaux participent au travaux.
Quelques jours après la fin des travaux, une première naissance. La petite Pépita voit le jour à la maternité d’Elne. Elisabeth et son équipe mettent tout en œuvre pour que tout se passe pour le mieux. Lorsque c’est possible, les femmes enceintes sont accueillies quatre semaines avant le terme pour pouvoir être à l’abri, au calme, loin des infections et du chaos qui règnent dans les camps. Et puis surtout, les femmes peuvent manger. Une bonne alimentation donnera du bon lait, et ce sera une bouche de moins à nourrir.
En plus, Elisabeth ne veut pas faire de la maternité un lieu austère, où les femmes ne sont que de passage, le temps d’accoucher. Elle ne lésine pas sur les moyens. Ateliers de chant, de lecture, de danse, travaux collectifs en plein air. Tout est mis en place pour que les femmes et les enfants ayant besoin de soins se retrouvent dans les meilleures conditions possibles. Les femmes se sentent bien, elles renomment les salles du petit château avec des noms espagnols pour se remémorer leur pays, la chambre des nouveaux-nés, c’est Madrid, les plus grands, Bercelona, Bilbao, ou encore Marruecos.
La maternité sert aussi de centre de soins pour les enfants nés dans les camps, mais parfois, il est trop tard. Voici le témoignage de Mercé Domenech, une réfugiée du camp d’Argelès : « Un nourrisson n’avait pas de lait et pleurait de faim jouer et nuit. Quand il était épuisé d’avoir tant pleuré, il s’endormait et sa mère le serrait contre son corps. Les couvertures qu’ils avaient, étaient encore trempées des jours si durs de février. Quand le soleil sortait, elle enterrait l’enfant dans le sable, ne laissant sortir que sa petite tête. Le sable faisant office de couverture. » Et puis. Cet enfant est décédé.
De nombreux enfants se retrouvent à la maternité d’Elne dans des états critiques. Ils ont des escarres à force de passer des journées entières sur le sable ou à même le sol. Pas un matelas, pas une couverture… Ils sont très affaiblis et affamés. La maternité fonctionne grâce aux dons. Les sage-femmes, infirmières et Elisabeth ne sont pas rémunérées. Le personnel est nourri, logé, blanchi mais, il ne touche aucun argent. La plupart des dons sont alimentaires ou matériels, du lait, de la farine, des draps, des pansements, de la laine, des vêtements, mais aussi des trotteurs, des biberons, des couffins, des lits. Avec le début de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe entière se retrouve dans la merde, alors les gens vont de moins en moins donner et la maternité se retrouve rapidement en difficulté, elle ne pourra plus tenir longtemps sans les dons.
La maternité suisse d’Elne et la Seconde Guerre mondiale
Elisabeth Eidenbenz décide alors d’associer la maternité à la Croix-Rouge suisse. Mais en ce nouveau contexte de guerre, la politique de la maternité doit changer… La maternité doit être neutre et ne doit pas accueillir de réfugiés politiques, c’est à dire les Juifs, les Tsiganes et autres populations cruellement en danger à cette époque. Elisabeth signe, elle sait qu’elle contournera les règles. Elle va continuer à soigner toutes les femmes et tous les enfants qui ont besoin d’aide. 200 enfants juifs naissent dans la maternité. Officiellement… Les femmes juives allemandes réfugiées falsifient souvent leur identité, prennent des noms espagnols. La maternité ferme les yeux, il faut soigner tout le monde. Aussi de nombreux nouveaux-nés se retrouvent à porter des prénoms espagnols alors que les parents sont allemands. Pour l’illusion. Tout le monde vit avec la peur que la Gestapo fasse un contrôle. Finalement, les Allemands ferment la maternité en 1944.
Elisabeth Eidenbenz rentre en Suisse, puis part en Autriche. Elle a reçu en 2002 la médaille des « Justes parmi les nations », et la madame est décédée en 2011. Elisabeth Eidenbenz a sauvé 600 enfants.
Voici quelques photos, gaies, parce que c’est une belle histoire. Peut-être vos parents, grands-parents sont sur ces photos, jetez un oeil !
D’autres photos mignonnes : Le bisou des enfants – L’équipe suisse – Le repas des grands enfants espagnols – Les mères et les enfants – Un bébé souriant – Les premiers soins – Elisabeth Eidenbenz et un enfant – Les soins – Les mères et leurs enfants – Les travaux collectifs (le linge) – L’ambulance – L’infirmière – La journée sous les arbres
Poignant !
Merci, c’est vraiment magnifique !
Émouvant !
(j’aurais juste une question si c’est possible, je n’ai pas compris le « ours si du »)
Jours Si dures ?
Quelle histoire… D’actualité aussi…
(Sinon il y a pas mal de coquilles qui rendent parfois la lecture difficile. Si ça t’intéresse je peux corriger le texte avant publication… C’est toujours plus facile avec un œil extérieur !)
merci pour cet article , mon père est né dans cette maternité… j en ai encore les larmes aux yeux
J’ai lu cet article dès sa sortie, et je n’avais pas encore commenté, mais il me semble qu’il manque un « détail » dont j’ai longuement entendu parler (je suis originaire d’Elne…). Il me semble qu’en plus de soigner femmes et enfants, Elisabeth Eidenbenz essayait autant que possible de fournir un petit travail aux femmes, afin de leur éviter de retourner dans les camps.
Je viens juste de terminer le livre : »les enfants d’Elisabeth ». Un immense merçi à Elisabeth Eidenbenz, remplie d’amour pour les autres, de compassion, sauvant beaucoup de vies pendant ces périodes de guerre; UN EXEMPLE POUR L HUMANITE TOUTE ENTIERE
Bonjour, je voulais juste partager un article paru récemment sur la maternité dans la revue « In Situ » : https://insitu.revues.org/14158
Merci pour ce lien, très intéressant. J’ai grandi à Perpignan d’où je suis partie en1988 et bien sûr je n’en avais pas entendu parler…
j ‘ai visité cette maternité !cette femme était une sainte , très dévouée aux autres je ne sais pas mais elle mérite la légion d’honneur , ils en faudrait plus des comme elle ! j ‘espère qu’elle repose en paix ….Micado
C’est grâce à des femmes comme elle que de nos jours des enfants échappent encore à la mort. Une belle preuve du don de soi.