Aujourd’hui je vous parle de Tatsuko Takaoka, longtemps surnommée Teruha. Il s’agit d’une des geishas les plus célèbres du Japon. Sa vie n’a pas été de tout repos et je vous laisse la découvrir dans cet article.
Grandir dans une okiya
Tatsuko Takaoka, ou Teruha, est née en avril 1896 dans une famille peu conventionnelle. Son père est un véritable coureur de jupons. Il a des gosses un peu partout et il est difficile d’élever tout le monde. Sa mère décède alors qu’elle est encore une petite fille. Aussi, alors que Teruha a 12 ans, son gentil papa décide de la vendre à une okiya. Une maison pour apprendre à devenir geisha. Un pensionnat pour apprenties geishas qui devient rapidement un bordel japonais quoi… Les geishas sont régulièrement exploitées sexuellement, même si ce n’est pas leur fonction première. Devenir geisha ça n’emballe pas tellement Teruha, mais non seulement elle n’a pas son mot à dire, mais en plus, elle se console en pensant que son travail lui permettra de donner une bonne éducation à son petit demi-frère. Elle y tient. Elle aurait aimé recevoir une éducation, ça n’a pas été le cas mais elle va se battre pour des valeurs.
La vente de la virginité de Teruha
Une fois arrivée à l’okiya, Teruha commence une formation de maiko (apprentie geisha), elle prend le nom de Chiyoha. La jeune fille a 12 ans, elle ne connaît rien aux hommes, rien aux femmes, rien aux relations et encore moins aux histoires de cul, et pourtant, il va falloir qu’elle grandisse vite et qu’elle s’y mette. Tout commence avec la perte de sa virginité. La maison de geishas ne va pas choisir l’homme le plus beau, le plus doux et le plus respectueux pour la jeune fille, non, c’est évidemment celui qui file le plus de fric qui remporte l’hymen.
Le grand gagnant est Kameshichi Umehara, le président de la bourse d’Osaka. Tout est organisé par l’okiya, ça se passe à l’arrière d’un salon de thé. Teruha raconte (plus tard) qu’elle a vécu cet événement comme un traumatisme (Ah bon ? Comme c’est étonnant…).
Le premier amour de Chiyoha (Teruha)
Malgré son entrée laborieuse dans la vie amoureuse et sexuelle, Teruha va rapidement s’enticher d’un jeune homme. Un acteur ! Il s’agit d’Ichikawa. Lorsqu’ils se rencontrent, c’est le coup de foudre. Leur nuit d’amour est merveilleuse, Teruha est totalement charmée par le garçon. En revanche, il y a un petit problème, depuis peu Teruha s’est engagée envers un homme : Sobo Otomine. Aussi, la relation de la petite geisha avec Ichikawa doit rester secrète. Pour vivre heureux, vivons cachés ? Non. Rapidement Ichikawa se détourne d’elle. Tout aurait pu se passer correctement. Liaison secrète puis terminée, Sobo Otomine n’apprend rien et tout roule. Mais non. Ce n’est pas si simple.
Teruha est triste. Très très triste et Sobo Otomine ne comprend pas… Teruha va tout de même accepter la demande en mariage de Sobo Otomine, malgré le refus de son père. Eh oui, depuis qu’il a vendu sa fille, il touche un petit quelque chose pour chacune des prestations de sa fille. Et se marier signifie la fin d’une carrière de geisha. En voyage à Beppu, les futurs mariés profitent de la vie. Quand soudain Sobo ouvre le miroir de poche de sa future femme et y découvre une photo de son ancien amant Ichikawa. Il rentre dans une colère noire car il pensait être le premier (et le seul) amour de Teruha… A peine à cheval sur les principe, il se déclare incapable d’épouser une traîtresse… C’est la fin des vacances, Teruha rentre à la maison des geishas, elle a encore moins de 15 ans.
Les retrouvailles
Teruha et Sobo vont se croiser quelques mois plus tard dans une maison de thé. Teruha se jette aux pieds de son ancien amant qui la rejette encore. Bin oui, il est vexé le garçon. Une idée vint alors à Teruha. Elle se rappelle une pièce de théâtre où, pour prouver son amour, une femme se coupe un doigt et l’offre à un samouraï pour lui prouver fidélité. Ni une ni deux, Teruha rentre chez elle, récupère un rasoir dans sa coiffeuse, forme un garrot autour de son doigt avec un shamisen (enfin, avec une corde de shamisen) et CLAC. Un coup bien net sur la phalange avec un rasoir. L’adolescente récupère son bout de doigt et va l’offrir à Sobo. Au Japon, on appelle ça faire un Yubitsume. Dans la mafia, on se coupe un doigt pour l’offrir à celui qu’on a offensé pour se faire pardonner et prouver sa loyauté.
A Osaka, l’histoire se répand et fait grand bruit ! Qui est cette scandaleuse qui ose exposer trop jeune ses émotions ?
La fuite de Teruha, la sulfureuse
Teruha a 15 ans et est obligée de quitter Osaka pour se rendre à Tokyo tant l’histoire du doigt coupé fait grand bruit et les ragots vont bon train. Elle entre dans une des meilleures okiya : Seika. On y apprend la danse, la coiffure, l’art floral, le service du thé (qui est tout un art),mais aussi la musique et le chant. Dans cette maison de geishas, les discussions sont plus intellectuelles, les hommes et femmes sont lettrés. Bien plus que Teruha, qui se trouve un peu ignorante. Elle décide alors d’apprendre à lire et à écrire. Chance qui ne lui a pas été donnée lorsqu’elle était enfant. Pendant plus d’un an, Teruha s’efforce d’écrire, de lire, d’apprendre et le tout en autodidacte. Elle fait tout toute seule et prend goût à l’écriture, elle tient un cahier de poèmes. En 1911, elle prend le nom de Teruha et débute dans sa nouvelle maison. Teruha signifie « feuille brillante ». Plusieurs mois après son installation, découvrez qui vient lui rendre visite ? Sobo ! Eh oui ! Suis moi, je te fuis. Fuis mois je te suis. Ou truc du genre. Les deux anciens amants se rendent compte qu’ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre. Mais ils ne peuvent pas vivre ensemble non plus.
Ils décident de traverser le Japon pour trouver le lieu idéal pour… se suicider. Sauf que bon, après quelques semaines ensemble, ils se demandent si c’est vraiment la bonne chose à faire et puis ils se séparent à nouveau. Loin de l’amour et de l’idée du suicide.
Teruha devient geisha
Teruha semble oublier Sobo. Elle vit dans le luxe, voit d’autres hommes et surtout, pour ses 16 ans, elle quitte le rang de maiko. Teruha devient officiellement geisha. Elle gagne alors beaucoup plus d’argent et évolue dans un milieu intellectuel qui la stimule et lui plait beaucoup. Enfin, c’est ce qu’elle dit. En réalité, elle ne supporte pas d’avoir été vendue par son père et de vivre dans de telles conditions… Dans le quartier, on découvre sa beauté. Teruha connaît déjà une certaine notoriété, c’est une jolie jeune fille, mais avec son statut de geisha et l’essor de la photographie, de nombreux photographes ont souhaité immortaliser son visage et… sa main ! Elle est rapidement surnommée « la geisha à neuf doigts » et ses photos sont utilisées pour faire des cartes postales. Ce qui est vraiment la grande classe. Pendant plus de cinq ans, Teruha va vivre sous les projecteurs et puis elle rencontre un homme et se marie.
Le rêve américain (non!)
Teruha a 23 ans et part avec son époux faire le tour des États-Unis. Là-bas, de nombreuses personnes l’attendent. Teruha est connue dans le monde entier. Pour son arrivée, une grande fête est organisée et elle va faire la connaissance de Michiro Ito qui lui apprend la danse occidentale, et celle de Sessue Hayakawa, un acteur célèbre qui va devenir un ami très proche. Mais c’est pas tellement la belle vie. Son mari la délaisse pour aller picoler et choper ailleurs, alors Teruha le quitte quelques mois et part seule à la conquête des États-Unis. Arrivée à New-York elle rencontre Lillian Gish, une célèbre actrice du cinéma muet.
Elle en tombe folle amoureuse, mais son mari, peu enclin au saphisme décide qu’il est temps pour eux de rentrer au pays. De retour au Japon, Teruha va faire payer à son mari tous les mois de tromperie et sa rupture avec Lillian en couchant avec un autre homme. Plus ou moins ouvertement. Une fois au courant, il va lui mener une vie impossible. A tel point que Teruha va faire deux tentatives de suicide. Depuis qu’elle est mariée, Teruha a quitté le monde des geishas et mène une vie difficile au Japon, c’est pourquoi elle décide de repartir pour l’Amérique du nord pour apprendre la danse. Elle va y rester plusieurs années avant de s’envoler pour l’Europe. Elle accouche à Paris d’une petite fille. On ne sait ni qui est le géniteur ni ce que cette enfant devient. Mais une chose est sûre, Teruha rentre seule au Japon où elle parvient à réintégrer le monde des geishas. Elle donne des cours, gagne de l’argent.
La malédiction de Teruha
En 1929, Teruha a 38 ans et elle fait un petit débriefing sur sa vie. Qu’est ce qui va ? Rien. Qu’est ce qui ne va pas ? Olala, la liste est longue. Elle veut se purifier de ses excès, de ses passions, de ses amours impossibles. Elle pense que la raison de ses erreurs est : ses cheveux. Tout le monde aime ses cheveux, noirs, brillants. Ils ont fait sa réputation de geisha. Elle veut rompre avec cette vie. Elle va tenter de se remarier, ça va être un fiasco. Les hommes ne veulent rien construire avec Teruha, ils veulent simplement l’exposer comme un trophée. Alors, elle tente d’être modèle photo puis tenancière d’un bar. Rien. Rien ne lui va. Elle tombe dans l’alcool, la dépression. Puis elle rencontre le bouddhisme.
La libération de Teruha
A 39 ans, Teruha consacre sa vie à la religion. Après trois ans d’essai en tant que moine au temple Gio-ji, elle est acceptée et devient officiellement moine le 30 septembre 1934. Son temple est féminin, fondé par deux sœurs qui ont eu un chagrin d’amour (pour le même homme). Teruha change de vie et aussi de nom, elle devient Chisho. Puis de moine elle devient grande prêtresse et se rase la tête. Se débarrassant enfin de son fardeau, sa malédiction. Mais pas complètement, elle dépose ses cheveux et les cartes postales à son image dans une boite pour se rappeler de ce qu’elle était et de ce qu’elle est devenue. Évidemment, les voyeurs vont lui rendre visite, ils veulent voir Teruha et pourquoi ne pas lui parler de ses excès d’émotion, d’alcool, d’hommes… Teruha tente de se séparer de cette image, de cette ancienne vie mais personne n’a vraiment oublié la petite maiko aux neuf doigts. Elle décède en 1994, à l’age de 98 ans.
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« Sa mère décède alors qu’elle EST encore une petite fille. » il manquait un quelque chose dans cette phrase ^^
Merci 🙂