Aujourd’hui je vous parle d’un homme incroyable. Il s’agit vraisemblablement du seul mec à s’être porté volontaire pour intégrer le camp de concentration (puis d’extermination) d’Auschwitz. Il n’a pas fait ça pour la gloire ou la reconnaissance éternelle (et heureusement parce que quand on voit comment il a été remercié), non, il s’est rendu prisonnier afin de donner des informations à l’armée polonaise puis aux Alliés, dans le but ultime de savoir ce qu’il se passait vraiment et pouvoir organiser une résistance à l’intérieur du camp. Et franchement, la vie dans un camp c’est autre chose que faire Koh-Lanta pendant 15 jours. Le pire, c’est qu’on l’a pas crû.
Witold Pilecki, qui est-il ?
Dans la famille résistant, je voudrais le petit-fils… Witold Pilecki est né en Russie en 1901. Mais il est polonais d’origine. Depuis le XIXe siècle, la Pologne et la Russie ont des rapports un peu compliqués du fait même que la Russie souhaite anéantir la Pologne. Ben oui, ça n’aide pas à entretenir des rapports cordiaux. Aussi, entre 1861 et 1864, le grand-père de Witold Pilecki s’engage dans l’insurrection polonaise contre la Russie tsariste, mais c’est un fiasco alors la famille est déportée en Russie. En 1918, Wiltold se prépare à participer à la Première Guerre mondiale, mais elle touche à sa fin. Alors il va participer à la guerre entre la Russie et la Pologne. En 1919 et 1920, la Russie tente et réussit à pécho du terrain à la Pologne, et puis ça se calme. Witold est décoré de la croix militaire des braves, deux fois. C’est assez classe, il part se foutre au calme, dans la campagne polonaise.
Seulement voilà, le calme et la farniente, ce n’est pas dans l’air du temps : les armées allemande et russe envahissent le pays en septembre 1939, conséquence de l’alliance tactique entre Hitler et Staline. La capitulation de l’armée polonaise, le 28 septembre, est une claque pour les Pilecki. Le fils Witold, 39 ans, refuse cette fatalité et entre en résistance.
La Seconde Guerre mondiale
Dès 1939, Witold Pilecki combat dans la cavalerie polonaise contre la Wehrmacht et décide de mettre en place une action de résistance . Il forme l’Armée secrète polonaise. Faut dire qu’il y a une alliance tactique entre Hitler et Staline, la Pologne est dans la merde et le 28 septembre 1939, le pays capitule. Witold ne veut pas en rester là, il étend son réseau dans une grande partie de la Pologne. L’armée polonaise clandestine devient le mouvement de résistance le plus important de l’Europe occupée par les nazis.
Lors de la première année de la Seconde Guerre mondiale, on entend parler des camps de concentration. On assiste à des rafles. Les personnes disparaissent et ne reviennent jamais. Sont-elles mortes ? Simplement détenues ? Quelles sont les conditions de détention ? Witold Pilecki veut en savoir plus. Il veut que les prisonniers résistent, que les camps explosent de l’intérieur. Mais comment faire ? Personne n’a accès aux camps. Impossible d’avoir des infos… Alors Witold va se procurer des faux papiers. Il va se faire passer pour un juif.
Witold Pilecki, déporté à Auschwitz en 1940
Le plan est simple, il veut se faire capturer pour organiser une résistance à l’intérieur du camp. Et c’est ce qui va se passer, au moins pour la première partie du plan… Le 19 septembre 1940, il porte sur lui des faux papiers au nom de Tomasz Serafinski. Il n’en faut pas plus pour le rafler avec 2000 autres personnes juives. Notamment Wladyslaw Bartoszewski, ministre polonais. A Auschwitz, il travaille pour plusieurs kommandos. Tant mieux, il peut rencontrer du monde, les rallier à sa cause et obtenir des informations précieuses à transmettre. Il va créer l’Union des Organisations Militaires (ZOW en polonais) avec pour mission de tout connaître sur l’activité militaire de l’Allemagne et les faire passer à la résistance polonaise.
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Dès octobre 1940, ZOW envoie un premier rapport à la résistance, celui-ci est transmis au gouvernement britannique en 1941. Il ne se passe rien. Il avait pourtant prévu et demandé que les Alliés parachutent des armes au-dessus du camp pour que les prisonniers puissent se soulever et être libérés. En vain. La résistance polonaise n’a pas non plus attaqué le camp comme il le suggérait…
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Witold Pilecki se sent abandonné, mais il ne va pas en rester là.
L’évasion de Witold Pilecki
Witold est déterminé à convaincre la résistance à agir, si ses courriers n’ont aucun effet, il va aller rencontrer ses supérieurs. Il décide de s’échapper du camp de concentration d’Auschwitz. Le 26 avril 1943, il profite de l’effectif réduit des SS pour la nuit de Pâques afin de s’évader avec deux de ses camarades. Il a passé presque 1000 jours emprisonné et il a écrit un dossier détaillé sur ce qu’il se passe dans le camp. Évidemment, ce n’est pas beau à voir. Witold Pilecki relance le projet d’attaquer directement le camp, mais la résistance intérieure n’a pas les moyens nécessaires de le faire et la Grande-Bretagne refuse d’aider, ben ouais, le mec exagère, dans son rapport il raconte que plus de 2 millions de personnes ont été éliminées entre 1940 et 1943, c’est vraiment n’importe quoi hein, on s’en serait aperçu quand même, on n’est pas dupes…
C’est loupé.
L’insurrection de Varsovie
En 1943, l’armée intérieure de résistance polonaise a peur que l’URSS vire les Allemands et occupe le pays. Déjà l’Allemagne ça passe pas, mais alors les soviétiques, surtout pas ! Et le 1er août 1944, c’est l’insurrection de Varsovie. La résistance lutte activement contre la présence de l’Allemagne dans le pays et anticipe l’arrivée de l’Armée Rouge. C’est vrai, il faut montrer que la Pologne est souveraine et que si l’Allemagne ne parvient pas à s’imposer, l’URSS n’y parviendra pas non plus.
Le problème c’est que l’insurrection est un échec, Witold Pilecki est emprisonné et la Pologne va tomber sous domination soviétique… En 1945, Witold est libéré et intègre le 2e corps de l’armée polonaise… Mais rebelle un jour, rebelle toujours, Witold refuse de quitter la résistance polonaise qui se construit désormais autour de la présence russe…
L’exécution de Witold Pilecki
Le 8 mai 1947, Witold est arrêté par le Service de Sécurité Intérieure. Il va être torturé, histoire de montrer qui est le patron… Puis il est accusé de différents crimes et délits :
* franchissement illégal des frontières, utilisation de faux documents, transport d’armes de guerre, espionnage au profit du général Wladyslaw Anders , (chef de l’armée du gouvernement polonais en exil), espionnage au profit de « l’impérialisme étranger » , préparation d’assassinats de plusieurs fonctionnaires du ministère de la Sécurité publique de la Pologne.
Il va nier une partie des faits, notamment l’assassinat et l’espionnage mais il plaide coupable pour le reste… Il va malgré tout être reconnu coupable pour toutes les accusations. Faut dire que c’est un procès-spectacle, on connaissait le dénouement avant la fin… Il est condamné à mort le 15 mars 1948.
Le 25, il est exécuté à Varsovie par Piotr Semietanski, surnommé le boucher de Mokotow (c’est le nom de la prison). Le document officiel de sa mise à mort rapporte que Witold Pilecki s’est écrié « Vive la Pologne Libre » avant de mourir. Le mec ne lâche vraiment rien.
Si vous voulez en savoir plus, je vous conseille ce livre, mais aussi celui-ci ! Et si vous voulez soutenir Raconte-moi l’Histoire, c’est moins cher qu’un mojito et c’est ici !
REMARQUABLE, récit donnant l’envie de le parcourir jusqu’au bout ; le ton est originale j’ai adoré ; en se documentant BRAVO.
Je n’avais pas saisi l’importance d’une affirmation de la résistance polonaise face aux velléités russes, cet article est salutairement instructif, merci !
Vous pourriez en dire plus sur l’évasion ? Non parce que se casser d’Auschwitz et ne pas se faire reprendre ou tuer, il faut le faire quand même.
Je ne suis pas une experte mais ce n’est pas le premier récit d’évasion des camps que je lis.
Je crois que la raison pour laquelle on n’en connait pas tant que ça est que d’une part certains prisonniers évadés ont dû mourir de froid et de faim une fois à l’extérieur et que d’autre part le traumatisme était tellement grand qu’ils n’avaient pas envie d’en parler ensuite.
Je sais que le grand-oncle de mon mari a réussi à s’évader d’un camp, je ne sais plus lequel. Il avait organisé une espèce de résistance et chaque soir faisait s’évader un ou deux prisonniers, avant de se sauver à son tour.
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Je ne laisse jamais de commentaire et je me rend compte que ce n’est pas cool: j’adore votre travail, c’est tellement top. Merci beaucoup pour ces articles vraiment !
merci et félicitation pour cette histoire fabuleuse de courage et montre bien qu’il peut y avoir des personnes libres, de pensée libre, et non pas abrutie comme nous le sommes aujourd’hui par une pensée unique orchestrée par des médias peu soucieuses de cette liberté de pensée. Attention au réveil !
Cet article est formidable, mais aujourd’hui nous qualifions les polonais qui se souviennent des abus de l’oppression communiste de nationalistes d’extrême droite.
Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage! Le fait de renvoyer à la retraite à 65 ans les anciens juges communistes qui ont fermé les yeux sur l’oppression venue de l’Est, est qualifié d’antidémocratique car il ne respecterait pas la liberté du pouvoir judiciaire. Les allemands ont eu les mêmes problèmes en 1945 lorsque les juges ex-nazi ne condamnaient jamais d’autres ex-nazis pour leurs crimes pendant la guerre. Sans Nuremberg beaucoup de dirigeants nazis auraient été innocentés!
j’adore ce format tu te lâche et ca c’est cool surtout que les élément historique sont là mais c’est carrément plus marrant que les truc barbant que l’on voit sur les autre site