Si Artemisia Gentileschi a connu une grande renommée de son vivant, qu’en est-il plusieurs siècles plus tard ? Combien d’entre vous n’ayant pas fait l’Ecole du Louvre peut donner le nom de ses œuvres ou la situer dans le temps ? Allez, soyez honnêtes. Aujourd’hui, je vous parle de cette artiste et je mets en lumière ses œuvres. Découvrez la brillante Artemisia Gentileschi !
Gentileschi, la famille d’artiste
Artemisia est née en 1593 à Rome dans une famille relativement aisée et elle a grandi dans un univers artistique important. Et pour cause, son père n’est autre qu’Orazio Gentileschi peintre et ami de Caravage ! Orazio Gentileschi va notamment partir à Paris, où il va peindre pour le palais du Luxembourg mais aussi à Londres, invité par le roi Charles Ier.
Dès sa plus petite enfance, Artemisia Gentileschi squatte l’atelier de son père, elle observe, elle apprend et un beau jour, elle prend elle aussi le pinceau et son père l’initie à la révolution caravagesque. Un renouveau dans la peinture qui va marquer le milieu de l’art. Artemisia Gentileschi est douée, c’est un fait, mais en plus, elle est soutenue par son père… Et à cette époque, c’est relativement rare. Une femme est bonne pour rester à la maison et à peindre des fleurs, des pommes à la limite, mais certainement pas des scènes baroques ! L’idée c’est de véhiculer des connaissances et des faits religieux par la peinture. En gros, vu que la plupart de la population ne sait ni lire ni écrire, elle peut apprendre l’Ancien Testament ou encore l’histoire en regardant des œuvres. La démarche est plutôt coolos et Artemisia s’y sent bien, elle est à l’aise.
Suzanne, la première œuvre d’Artemisia Gentileschi
A 17 ans, elle peint Suzanne et les vieillards, une de ses peintures les plus célèbres qui retrace l’histoire biblique de Suzanne, une jeune fille qui n’a pas voulu se soumettre à deux vieux mecs et qui l’ont accusée d’adultère. Condamnée à mort, elle a finalement était blanchie par le prophète Daniel. Artemisia Gentileschi est la première artiste à représenter Suzanne comme une victime, fragile et harcelée et non comme une aguicheuse, pour faire ressortir la victime de ses bourreaux.
Orazio décide d’offrir à sa fille les cours d’un précepteur afin d’améliorer sa culture et enrichir ses œuvres… Faut dire que les Beaux-Arts sont interdits aux femmes… Eh oui, pas la peine de faire les beaux-art pour peindre des natures mortes pour les enfants.
Artemisia Gentileschi, violée par son précepteur
A 19 ans, Artemisia Gentileschi devient dons l’élève d’Agostino Tassi. Ce n’est pas un inconnu, c’est un artiste célèbre qui travaille régulièrement avec Orazio Gentileschi, notamment pour la peinture des plafonds du palais des Roses à Rome. Le problème, pas des moindres, c’est qu’Agostino Tassi est plus attiré par les nichons de l’artiste que par son pinceau et il ne lui en faut pas plus pour la violer. La famille Gentileschi décide d’agir pour Artemisia et elle organise alors le mariage d’Artemisia avec son violeur. Eh oui, ce sont des choses qui se faisaient et font, hélas, encore maintenant ! Faut racheter l’honneur et la perte de virginité. Quelle horreur. Bref. Finalement, Agostino Tassi ne tient pas sa promesse et refuse d’épouser Artemisia Gentileschi, aussi, Orazio porte l’affaire devant la justice. Et ça ne va pas être de tout repos pour la victime…
Le procès contre Agostino Tassi
Un an après le viol d’Artemisia Gentileschi, Orazio porte plainte contre Agostino Tassi. Pourquoi un an après ? Parce que le mec n’a pas accepté d’épouser la jeune fille. S’il avait accepté, jamais la justice n’aurait été faite. Il existe de nombreux éléments de ce procès, ils ont été conservés dans les archives romaines. On y trouve notamment le témoignage d’Artemisia. En voici un extrait :
« … il me jeta sur le bord du lit en me frappant sur la poitrine avec une main, me mit un genou entre les cuisses pour que je ne puisse pas les serrer et me releva les vêtements, qu’il eut beaucoup de mal à m’enlever, me mit une main à la gorge et un mouchoir dans la bouche pour que je ne crie pas »
Je ne mets pas le passage le plus moche, mais si vous voulez le lire en entier, c’est par là.
Non seulement Artemisia a été victime d’un viol, puis « socialement humiliée » d’avoir vu son bourreau refuser le mariage, mais en plus la justice n’est pas super friendly… Elle va connaître un examen gynécologique, récit de la sage-femme, certes, mais elle va surtout connaître la question. On la torture, à l’aide des « sibilli », en gros, on lui passe des cordes entre les doigts et on serre jusqu’à briser les os… Oui, oui. On lui casse les doigts pour s’assurer qu’elle dit la vérité… Se faire péter les doigts lorsqu’on est peintre c’est particulièrement moche.
Pour se défendre, Agostino prétend que l’artiste était à l’origine de la relation sexuelle et qu’elle n’était pas du tout contrainte. Au contraire, il décrit Artemisia comme une fille facile. Et ce qu’on reproche à Agostino ce n’est pas tellement le viol, non, c’est plus subtil que ça. Il est accusé de Stupro. Le code pénal romain divise l’acte de « stupro » en trois délits différents : Stupro semplice, est une défloration consentie. stupro qualificato, une défloration consentie avec promesse de mariage et enfin, le stupro violente, défloration par la force.
En racontant qu’Artemisia est une file légère, il explique qu’il ne l’a pas déflorée. Tout simplement.
Finalement, en novembre 1612, le procès va donner raison à Artemisia et Agostino Tassi va être condamné. Lol. Une peine de prison d’un an et une interdiction de résider sur les Etats pontificaux durant cinq ans. En réalité, Agostino Tassi n’en était pas à son coup d’essai… Il a violé Artemisia Gentileschi mais il avait aussi pour projet de tuer sa femme (qu’il a été contraint d’épouser après l’avoir violé, mais elle a fuit rapidement), il a couché avec sa belle-sœur et il montait un plan pour piquer les œuvres de son ami Orazio Gentileschi. A l’aise le mec. Pour tout ça, il a pris un an et à ce qu’il paraît, il n’a pas vraiment quitté le territoire.
La vie d’artiste d’Artemisia Gentileschi
Quelques mois après le procès, Artemisia a épousé un peintre de Florence, Pietro Antonio Stiattesi. Le mec est modeste mais au moins, l’honneur est sauf. Pour se remettre du procès, de la violence et de l’humiliation, Artemisia Gentileschi se plonge dans la peinture, entre 1612 et 1614, elle peint la très célèbre toile Judith décapitant Holopherne. C’est violent. Il y a du sang, les femmes semblent appliquées et vengeresses. Et elles le sont, je raconte l’histoire de Judith ici. Artemisia Gentileschi et son époux partent pour Florence. Ils vont faire quatre mouflets mais une seule va vivre quelques années. Côté boulot, ça roule. Vraiment. Les commandes sont nombreuses et fait rare, les commanditaires demandent à l’artiste de représenter les personnages principaux avec ses propres traits car Artemisia Gentileschi est semble-t-il d’une beauté sans pareille. Aussi, on retrouve de très grosses ressemblances entre les portraits et les autoportraits. En 1620, elle peint une nouvelle représentation de Judith et Holopherne et cette fois, elle colle précisément ses traits à ceux de Judith et ceux d’Agostino Tassi à Holopherne. Il n’y a plus de mystère.
En 1621, Artemisia quitte Florence et son époux avec sa fille sous le bras, elle retourne vivre à Rome où elle retrouve son père. Quelques années plus tard, l’artiste a une seconde fille et toutes trois partent vivre à Naples car à Rome, les affaires vont mal. Pourtant, Artemisia Gentileschi est douée et chacune de ses œuvres le prouve, elle maîtrise le clair-obscur, les lumières, le portrait… Bref, c’est une artiste complète et à Naples, les affaires vont un peu mieux fonctionner. On fait appel à son talent pour peindre les toiles d’une cathédrale et c’est un franc succès. Son nom est dans toute la ville et ailleurs…
En 1638, Artemisia Gentileschi est appelée à la cour d’Angleterre par Charles Ier. Son père, Orazio est déjà sur place et il est ravi d’apprendre l’arrivée de sa fille. Toute leur vie, père et fille connaissent une telle proximité artistique qu’il est difficile de savoir si l’œuvre est du père ou de la fille avant qu’elle soit signée. Hélas, Orazio Gentilschi décède brutalement en 1639 et Artemisia ne va pas s’attarder chez les Anglais, la guerre civile approche, elle rentre à Rome. Dès cette époque, on ne connaît plus grand chose de la vie d’Artemisia Gentileschi, elle se fait discrète, son art ne se vend presque plus. Elle décède en 1653 et ses filles qui n’ont aucun talent pour la peinture ne seront pas connues.
Artemisia Gentileschi a été oubliée pendant plusieurs siècles. Il faut attendre le début du XXe siècle pour qu’un homme (terriblement sexiste) s’intéresse à son cas. Roberto Longhi met en lumière son talent mais il ne peut pas le faire sans dénigrer le reste des femmes et c’est bien dommage, il dit « l’unique femme en Italie qui ait jamais su ce que voulait dire peinture, couleur, mélange, et autres notions essentielles… » or, des artistes italiennes, il y en a eu plein et c’est assez moche de dénigrer comme ça.
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Si tu veux en savoir plus sur Artemisia Gentileschi, je te conseille ce livre, mais aussi celui-ci et ce podcast FInter. Dans celui-ci tu trouveras toutes les archives du procès. Et si tu aimes la peinture baroque, achète ce livre (je l’ai et il est merveilleux)
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Très bel article comme toujours! Merci beaucoup pour cet éclairage!!
Je la connaissais de nom grâce sur roman d’Alexandra Lapierre. Roman que je n’ai pas encore lu, donc ton article m’y prépare 🙂
J’ai fait aujourd’hui une magnifique découverte artistique: après avoir vu à la télévision
une émission sur cette extraordinaire peintre (si,si, on peut voir et apprendre des choses passionnantes par le petit écran – à condition de bien choisir son programme.
J’ai donc complété mes connaissances par la lecture de cet article……Merci.
Bon article . Beau sujet. Je connaissais son histoire tristement méconnue du grand public en effet. Il y a un film sur Artemisia mais je ne sais pas ce qu’il vaut.
J’ai un blog aussi où je me fends de quelques articles ( sur l´art notamment) quand j’ai le temps .
Bonsoir Fertray,
Pourriez-vous donner le titre du film SVP ?
Je m’intéresse à cette artiste formidable par sa personnalité, sa vie comme sa peinture !