Aujourd’hui je vous parle d’un médecin psychiatre, Henry Cotton, qui a mis en place la chirurgie bactériologique. Il s’agit d’une pratique thérapeutique consistant à arracher des dents ou des morceaux d’organes pour soigner des troubles psychiatriques. #SPOILER : ça ne marche pas et les gens meurent. Henry Cotton a pu opérer de nombreuses personnes pendant près de 30 ans avant de devoir arrêter d’exercer. Découvrez l’histoire folle de cet arracheur de dents illustrée par Uzu !
La théorie de la chirurgie bactériologique
Henry Cotton est né en 1876, et au début des années 1900, il part étudier en Europe auprès d’Alois Alzheimer -oui, lui même- et d’Emil Kraepelin, deux figures de la psychiatrie du XXe siècle. Leur professeur est le docteur Adolf Meyer à l’école de médecine John Hopkins. C’est un peu le top en matière de psychiatrie à cette époque. L’école, les méthodes d’enseignement et les pratiques thérapeutiques se veulent progressistes et on base tout sur l’observation des patients. Ce qui paraît être une bonne chose mais concrètement, on n’y connaît pas encore grand chose en psychiatrie et on tâtonne beaucoup. Henry Cotton est à contre-courant des théories européennes et américaines de l’époque, il ne s’intéresse pas à l’eugénisme, à l’hérédité ou encore aux théories freudiennes sur les traumatismes, lui ce qui le fait kiffer c’est ce qu’il va appeler la chirurgie bactériologique. Avec son ancien professeur Adolf Meyer, Henry Cotton constate que les patients victimes d’une poussée de fièvre très élevée ont souvent des hallucinations ou des propos délirants. Meyer en déduit alors que des bactéries sont à l’origine de troubles psychiatriques. Ben oui, si les bactéries sont à l’origine de la fièvre et que la fièvre conduit à des hallucinations, alors les bactéries sont la source des hallucinations et des troubles psychiatriques. C’est un sophisme ça non ? (désolée, le bac c’était y’a 9 ans, je me rappelle plus bien).
Partout dans le monde, Henry Cotton va expliquer ce qu’il appelle : la chirurgie bactériologique, sa théorie basée sur la croyance que les troubles mentaux sont des manifestations d’infections non visibles et dont le seul traitement possible est l’ablation des organes infectés. Sauf que vu que l’infection est non visible, le médecin va enlever de nombreuses dents, sinus, ovaires, testicules, morceaux de colon et d’intestin à l’aveugle et pour rien car aucune de ces parties du corps ne sont véritablement contaminées. Il va également faire de nombreux morts…
La mise en pratique par Henry Cotton
Henry Cotton a su imposer ses connaissances et il devient en 1907 directeur médical de l’hôpital psychiatrique de Trenton aux États-Unis. Après avoir travaillé de nombreuses années de manière théorique sur la chirurgie bactériologique, le médecin psychiatre a enfin l’occasion de la mettre en pratique sur des patients. YOUHOU… Lorsqu’un patient présente des troubles psychiatriques, Henry Cotton commence par lui arracher les dents (oui, toutes). Si celui-ci ne guérit pas, le médecin pratique alors une amygdalectomie, une ablation des amygdales. En cas de nouvel échec, Henry Cotton suspecte généralement les testicules, ovaires, glandes, estomac, foie, vésicule biliaire, utérus ou encore le côlon…
De nombreuses personnalités du milieu médical (mais pas seulement) n’hésitent pas à confier leurs proches aux mains d’Henry Cotton. Autre problème, les mains du docteur Cotton ne sont pas si propres qu’on le pense, l’aseptie est connue mais les antibiotiques se font encore très rares et de nombreux patients décèdent d’infection (c’est quand même un comble). C’est le cas en 1919, de Margareth Fisher, fille de l’économiste Irving Fishing atteinte de schizophrénie. Après un examen, Henry Cotton pense que les troubles mentaux de sa patiente sont provoqués par « une rétention de matières fécales dans le colon, provoquant un élargissement de l’organe ». Le médecin lui enlève une partie du colon et la jeune fille décède d’un streptocoque. En gros, la meuf est morte car Henry Cotton pensait que sa constipation la rendait folle. Surveillez bien vos selles les prochains jours !
Cependant, la méthode est considérée comme progressiste car elle s’oppose à la contention des patients. On refuse d’attacher les malades (ça se tient, c’est inefficace) mais on accepte de les contraindre à bouffer de la bouillie, à être incapable de communiquer, à ne pas pouvoir chier correctement et à ne pas avoir de gamin et tout le monde trouve ça normal car les résultats sont probants… Enfin, c’est ce que l’on croit. De nombreux patients édentés développent des résistances physiques aux méthodes du médecin Henry Cotton. Ils ne veulent plus se faire opérer. Mais les intentions paternalistes du médecin parviennent à convaincre les proches qui donnent leur permission pour pratiquer de nouvelles ablations dans le but de soigner les patients qui -on veut bien le penser- n’ont plus toute leur tête et ne peuvent pas juger par eux-même de l’inefficacité de la méthode, ils sont donc amenés de force sur la table d’opération…
En 1922, le New York Times écrit à propos de l’arracheur de dents «À l’hôpital de Trenton, N.J., sous la brillante direction du docteur Henry A. Cotton, on frôle le début de la plus recherchée, agressive et profonde investigation scientifique qui a pu être faite dans tout le domaine des désordres mentaux et nerveux… c’est un espoir, un grand espoir… pour l’avenir. » puis en 1925, toujours dans le New York Times « d’éminents médecins et chirurgiens attestent que l’hôpital psychiatrique d’état du New Jersey est l’institution la plus progressiste au monde dans le domaine de la santé mentale et la nouvelle méthode de traitement des désordres mentaux par l’ablation des foyers d’infection place l’institution dans une position unique, forçant le respect des autres asiles psychiatriques » Pourtant, depuis un an, une médecin remet en cause toute la théorie du docteur Henry Cotton et pour cause, Henry Cotton n’est pas tout à fait honnête en ce qui concerne ses résultats.
Des résultats mitigés et des données faussées par Henry Cotton
Au début du XXe siècle, il n’existe pas de groupe de contrôle scientifique sur ce qui se fait dans les hôpitaux, et encore moins dans le milieu psychiatrique, alors il est aisé pour les médecins de faire croire n’importe quoi à propos des taux de réussite d’une intervention qui sont, à cette époque, incontestables. Henry Cotton a su jouir de cette liberté pour valoriser quelque peu la chirurgie bactériologique. Le médecin psychiatre arracheur de dents se vante donc d’un succès proche des 85% pour sa méthode progressiste et révolutionnaire du monde psychiatrique. Tout les hôpitaux se l’arrachent, il reçoit les honneurs, on lui demande d’animer des conférences et de présenter son travail au plus grand nombre afin que les personnes malades qui ne peuvent se rendre à Trenton puissent être soignées de la même manière partout dans le monde.
Cependant, tous les psychiatres ne sont pas en accord avec les méthodes et la théorie du docteur Henry Cotton. C’est notamment le cas de Phyllis Greenacre, ancienne élève du docteur Meyer. Elle entreprend la mission d’enquêter sur les véritables conséquences de la méthode de l’arracheur de dents. Dès qu’il l’apprend, celui-ci, aidé par son équipe, va clairement lui mettre des bâtons dans les roues. L’enquête commence en 1924. Phyllis Greenacre passe tout au crible, de la propreté des instruments chirurgicaux, à la peinture des murs de l’hôpital en passant par la personnalité particulière du directeur médical de l’hôpital. Rien n’échappe à Greenacre. Après avoir consulté toutes les prises de notes du médecin, elle constate de nombreuses incohérences. Henry Cotton est contraint d’admettre que le taux de mortalité est un peu plus élevé que ce qu’il peut bien clamer. 45% et non 30% comme il le précise dans les comptes-rendus. De plus, il est difficile de juger l’amélioration des troubles psychiatriques vu que les patients ne peuvent plus parler correctement. Comment savoir s’ils délirent ou s’ils disent des choses cohérentes lorsqu’on ne comprend pas un seul mot de ce qu’ils racontent ? Malgré tout, l’état du New-Jersey continue de lui faire confiance et il exerce encore pendant cinq longues années durant lesquelles de nombreux patients continuent d’être mutilés. Pour rien. Lorsque le psychiatre Henry Cotton quitte l’hôpital de Trenton en 1930, pour ouvrir une clinique privée et être bien peinard de faire ce qu’il veut sur ses patients sans avoir à rendre de compte, l’hôpital n’enterre pas pour autant pas sa méthode qui reste pratiquée jusqu’en 1950.
Pour en savoir plus sur Henry Cotton, je vous conseille ce livre (dont un aperçu est disponible gratos ici) ou encore celui-ci. Si tu as aimé les illustrations d’Uzu, n’hésite pas à aller jeter un œil sur sa page FB. Enfin, si tu as aimé cet article et que tu veux en lire plein d’autres pendant longtemps, j’ai besoin de toi pour soutenir le blog. Ça se passe sur Tipeee ou en achetant les livres (qui sont beaux et cools).
Comme le disait si bien un patient d’Henry Cotton atteint de tassaphilie avant de se faire arracher les dents: « le mug, le mug, à moi le mug!! »
Dans son livre The Laws of Medecine, l’oncologue américain S. Mukherdji parle d’une épisode similaire de l’histoire de la chirurgie. Un chirurgien canadien a introduit l’intervention de mastectomie radicale, qui n’était pas efficace contre le cancer mais détériorait la qualité de vie des femmes…
Des horreurs de théories farfelues et mortifères sur la médecine et ses tâtonnements (notamment sur la médecine psychiatrique) il y en a moult… Et jusqu’à récemment… Dans les années 80, certains toubibs pensaient encore que les nourrissons ne ressentaient pas la douleur.
Je n’ose imaginer les souffrances inutiles qu’ont pu subir des millions de malades (ou pas ^^)