Salut les lecteurs de Raconte-moi l’Histoire et ceux qui sont là par hasard, aujourd’hui je vous parle d’une petite blague artistique. Un article sans prétention sur une œuvre d’art composée par un âne. Sa queue plus précisément. Dans les années 1910, un artiste décide de se moquer du milieu artistique et des petits snobinards de critiques… Découvrez l’histoire de l’œuvre de Boronali « et le soleil s’endormit sur l’Adriatique ».
Montmartre, terre d’artistes
Au début du Xxè siècle, c’est l’effervescence à Montmartre. On y trouve tous les peintres reconnus et ceux qui aimeraient le devenir. On peut citer un grand nombre de personnages illustres passés par le bateau-lavoir notamment. Les expositions fleurissent et les critiques d’art sont partout. Respectés, adulés et parfois moqués… On vante l’avant-garde, l’art moderne, mais ça ne plaît pas à tout le monde, notamment Roland Dorgelès qui compte bien jouer un vilain tour à l’art moderne et à tous ceux qui en font l’éloge.
Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique
Roland Dorgelès a tout prévu, il veut faire un pied de nez aux critiques d’art moderne. Il emprunte un âne à son ami Frédéric Gérard, le tenancier du célèbre cabaret de Montmartre : le Lapin agile. C’est devant un huissier de justice qu’il accroche à la queue de l’âne un pinceau qu’il trempe dans la peinture. Lolo (c’est le nom de l’âne) à chaque fois qu’on lui donne une carotte, il frétille de joie et remue sa queue sur la toile. C’est ainsi que né le tableau : Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique. On imagine aisément que ce n’est pas l’âne qui a trouvé le nom ni qui a signé le tableau des lettres de Joachim Raphaël Boronali. Et le soleil se coucha sur l’adriatique est une huile sur toile de 81 sur 54cm. Maintenant que Dorgelès a les moyens de se moquer du milieu de l’avant-garde, il va faire en sorte d’exposer son artiste, JR Boronali (qui n’est autre que l’anagramme de Aliboron, l’âne qui hésite entre boire et manger et qui fini par mourir de faim et de soif).
L’exposition de l’âne Lolo dit Boronali
C’est au Salon des Indépendants que l’œuvre de Lolo est exposée en 1910.
Faut dire qu’il est assez aisé d’être exposé, il suffit de faire partie de la société et d’envoyer un formulaire d’adhésion. Il n’y a pas de jury pour valider ou non la présence d’une œuvre. C’est une exposition qui a lieu tous les ans à Paris depuis les années 1880, l’idée est d’exposer des artistes qui revendiquent une indépendance dans leur art. C’est dans la salle 22 que les critiques d’art, les amateurs, professionnels et la presse s’interrogent sur ce jeune Boronali, ce jeune peintre italien qui ne se montre jamais. La presse renomme le tableau Coucher de soleil sur l’Adriatique. C’est plus percutant qu’ils disent. Dorgelès pousse le vice jusqu’à écrire un Manifeste de l’excessivisme sous le nom de Boronali pour justifier son mouvement pictural
« Holà ! grands peintres excessifs, mes frères, holà, pinceaux sublimes et rénovateurs, brisons les ancestrales palettes et posons les grands principes de la peinture de demain. Sa formule est l’Excessivisme. L’excès en tout est un défaut, a dit un âne. Tout au contraire, nous proclamons que l’excès en tout est une force, la seule force… Ravageons les musées absurdes. Piétinons les routines infâmes. Vivent l’écarlate, la pourpre, les gemmes coruscantes, tous ces tons qui tourbillonnent et se superposent, reflet véritable du sublime prisme solaire : Vive l’Excès ! Tout notre sang à flots pour recolorer les aurores malades. Réchauffons l’art dans l’étreinte de nos bras fumants ! »
Y’a pas à dire, Dorgelès joue le jeu à fond. Lorsque un amateur d’art décide d’acheter l’œuvre pour la somme de 400 francs-or (soit entre 3500 et 4000€ aujourd’hui), Dorgelès pense qu’il est grand temps de révéler la supercherie et il reverse la somme à l’orphelinat des Arts. L’idée de Roland Dorgelès est bien de montrer que la presse peut faire passer n’importe quel coup de pinceau « ou peintures abracadabrantes, sous le couvert prétentieux d’un futurisme en délire » pour des chefs-d’œuvre ce qui ne rend pas hommage à ce qu’il considère être véritablement de l’art et dénonce la société du Salon des Indépendants comme le principal complice. C’est dans le journal l’Illustration que Dorgelès explique le canular, pour prouver son histoire, il joint le constat d’huissier et il explique avoir voulu « montrer aux niais, aux incapables et aux vaniteux qui encombrent une grande partie du Salon des indépendants que l’œuvre d’un âne, brossée à grands coups de queue, n’est pas déplacée parmi leurs œuvres. ». C’est pas très sympa quand même.
Et après ? Qu’est devenu le tableau ?
L’œuvre de Boronali, ou plutôt de l’âne Lolo est racheté en 1953 par le collectionneur d’art Paul Bédu encore aujourd’hui il est exposé à l’espace culturel Paul Bédu de Milly-la-forêt dans le département de l’Essonne mais en 2016 ,elle a été temporairement exposée au Grand Palais de Paris parmi les plus beaux chefs-d’œuvre de Rembrandt, Man Ray, Giacometti ou encore Annette Messager. L’idée de cette exposition était de dépasser les frontières du genre et des époques de l’art pour faire travailler l’imaginaire collectif.
Puis que vous l’attendez tous, voici l’œuvre de Boronali !
Quelques liens Gallica pour voir comment était raconté l’histoire en temps réel. 1 – 2 – 3
Si tu as aimé cet article, s’il t’a appris plein de trucs n’hésite pas à le partager ou à soutenir le site ! Tu peux aussi acheter les livres Raconte-moi l’Histoire !