Au IIIème siècle avant notre ère, alors qu’un sculpteur (anonyme) décide de représenter Ajax soutenant le cadavre d’Achille ou Hercule étranglant Gyron, on ne sait pas trop, il ne s’attendait probablement pas à ce qu’on en parle aujourd’hui dans le blog, et pourtant…Si au fil des siècles, l’œuvre se désagrège au point qu’on ne sache pas exactement ce que le sculpteur a souhaité représenter, la statue va jouer un rôle dans la société romaine à partir du XVIème siècle, c’est ce que je vous raconte dans ce nouvel article.
En 1501, Pasquino sort de terre
Au XVème siècle, la statue d’époque helléniste est retrouvée dans le quartier Parione à Rome et le cardinal Oliviero Carafa décide de valoriser le patrimoine local en la présentant sur un piédestal contre un des murs de son palais dans une rue passante et un quartier dynamique. En 1501, à Rome, l’ambiance n’est pas à la fête, enfin, ça dépend pour qui… Le Pape Alexandre VI, de la famille Borgia, souhaite s’extirper d’une situation délicate en fuyant la ville.
Le contexte papal en 1501
Le Pape est connu pour avoir une vie dissolue et s’il est soumis au célibat tout prouve qu’il n’a pas fait vœu de chasteté ! Alexandre VI aime les femmes, les plaisirs de la chair et les œuvres d’art. Mais surtout les plaisirs de la chair… Lors du mariage de sa fille Lucrèce avec Alphonse Este, le Pape a non seulement convié une cinquantaine de danseuses nues mais il a en plus demandé à tous les invités d’honorer la présence de celles-ci en organisant une compétition sexuelle, les hommes devant prouver leur virilité durant une grande partie de la cérémonie.
Pour ne rien vous cacher, Alexandre VI a également demandé à ses enfants Lucrèce (ci-dessus) et César de bien vouloir arbitrer la compétition. Disons-le sans honte, ça a créé un des plus gros scandales de la chrétienté. Les Romains sont furax et alors que le Pape tente d’être discret quelques temps, Oliviero Carafa découvre que sa statue a été vandalisée. On retrouve sur le socle un pamphlet s’adressant directement au Pape Alexandre VI, si celui-ci décide de quitter la ville, alors, il mourra !
Personne ne prend au sérieux les quelques mots griffonnés sur la plaque de marbre, mais les Romains vont prendre pour habitude d’écrire non pas leur doléances mais plutôt des petites phrases incisives à l’encontre du Pape ou du pouvoir en général.
A propos de l’énorme pot de vin versé par la famille Borgia pour pouvoir occuper le Saint-Siège :
Vendit Alexander claves, altaria, christum
Alexandre vendit les clefs, l’autel et le Christ
Emerat ille prius, vendere jure
Au reste, il pouvait les vendre, les ayant achetés auparavant
A propos de la vie dissolue du pape :
Octo nocens pueros genuit totidemque
Créateur illicite de huit fils et d’autant de filles,
Hunc merito poterit direce Roma Patern
Rome peut à bon droit l’appeler père
Pour l’anecdote : le Pape est mort en août 1503, si la malaria est très présente à Rome à cette époque, ce n’est pas la maladie qui a eu raison de lui. Alors qu’il dînait un soir avec ses principaux ennemis, Alexandre VI a empoisonné le vin… Mais le gros malin a bu dans la mauvaise jarre et après avoir été fiévreux et avoir gonflé jusqu’à doubler de volume, il est décédé. A sa mort, il a été impossible de le faire rentrer dans le cercueil qui lui été destiné tant il avait gonflé. On l’a alors roulé dans un tapis en attendant de trouver un cercueil de bonne taille. En attendant, le cadavre a commencé à pourrir sous la chaleur du mois d’août… Tout le monde a pensé que c’était l’œuvre du diable !
Heureusement pour cet article, les pamphlets ont été nombreux durant l’occupation du Saint Siège par Alexandre et tout ne s’arrête pas à la mort de celui-ci en 1503. Revenons donc à notre statue.
Les jours de Pasquinade
Avec le temps, les pamphlets sont un peu moins nombreux dans la ville de Rome, mais ils sont quasiment tous réunis sur le socle de la statue Pasquino. Les Papes sont parfaitement au courant et il n’y a pas de répression, c’est ce qu’on appelle la liberté d’expression, une valeur assurément importante. Par la suite, un événement est organisé autour de la statue le 25 avril de chaque année, en général par un professeur de l’Université accompagné par un cardinal. Le jour de la Saint-Marc, ce n’était plus le socle mais bien le torse entier de la statue qui était recouvert de pamphlets humoristiques, joyeux, violents ou de révolte. A la suite de cette fête, les pamphlets étaient récupérés et retranscrits sur des livres afin de les compiler. Ça devenait alors des brochures qui se vendaient comme des petits pains. Hélas, on ne sait pourquoi, il existe une lacune entre 1509 et 1525.
On sait tout de même que la nomination d’Adrien VI au siège pontifical a ravivé la pratique… Le peuple romain ne l’aime pas, tout d’abord, il n’est pas romain, mais originaire des Pays-Bas, on ne le connaît pas et les gens se méfient. De plus, il rompt avec la tradition papale et garde son nom de baptême Adrien. Enfin, et c’est bien le pire qu’on lui reproche : il a un mode de vie absolument sain(t), simple, pieux et austère. Dès son arrivée, il réduit le nombre de ses serviteurs, il ne garde que 4 personnes que les 100 de son prédécesseur. Adrien VI refuse les banquets, ne boit que du vin de messe et il se lève même la nuit pour réciter l’office divin et se relève à l’aube pour célébrer la messe. Les romains ont perdu l’habitude… Par la suite, le Pape Adrien VI interdit le port d’arme dans la ville, ainsi que la prostitution. C’est un peu trop pour la population qui s’inquiète et qui vit les décisions du pape comme des reproches aux coutumes locales.
Alors les pamphlets sont nombreux : on lui reproche d’être un barbare, de dénigrer l’art, d’être austère… On reprochait absolument tout le contraire à Alexandre VI !
Pendant des siècles, la coutume perdure et Pasquino devient la bouche de toutes les revendications. Berlusconi en a fait les frais à plusieurs reprises mais en particulier lors de son soutien à la guerre en Irak. Aujourd’hui, la pasquinade se fait plus discrète et laisse place à une nouvelle forme d’expression et de satyre sociale, le street-art militant comme avec Maupal ou encore TVBOY qui n’hésitent pas à rendre hommage aux auteurs anonymes de la Renaissance…
Bel article, comme toujours.
Lors du mariage de sa famille Lucrèce… sa fille, plutôt, non ? Enfin, moi, les mœurs de l’époque…
Belle histoire .
Je résume par : »Les religieux comme les politicrads » ,ne sont que des parasites inutiles et nuisibles !
Qu’ils nous lâchent les roupettes .