Il est des histoires qu’il est nécessaire de commencer par la fin. C’est bien le cas de celle de Vivian Maier, une nounou américaine, toujours accompagnée de son appareil photo, décédée en 2009. Deux ans avant sa mort, un parfait inconnu, John Maloof, achète une valise contenant des milliers de négatifs et des appareils photos lui appartenant, faut dire que la vieille femme, ne paie plus le loyer de son garde-meuble, le propriétaire se débarrasse alors de toutes ses affaires durant une vente aux enchères. C’est le début de la reconnaissance du travail de l’artiste Vivian Maier.
John Maloof, historien local passionné de photographie
Durant les années 2000, John Maloof tente de retrouver des vues anciennes de son quartier Portage Park pour retracer l’histoire de la ville de Chicago. Lors de la vente aux enchères, il se porte acquéreurs d’un lot à 400€, à l’intérieur, 30 000 négatifs, des rouleaux de pellicules et quelques tirages des années 1950 mais aucune photographies de Portage Park. John Maloof n’est pas complémentent déçu car en observant les négatifs, il trouve les prises de vue esthétiques et décide d’en développer quelques unes et d’en numériser d’autres qu’il vend sur Ebay.
C’est en discutant avec des acheteurs passionnés qu’il se rend compte des trésors qu’il possède dans ses placards, il décide alors de chiner d’autres négatifs. Ni homme, ni femme. Il ne sait rien de l’artiste, pas même son nom. Jusqu’au jour où il tombe sur une signature au crayon à l’arrière d’une enveloppe.
Il ne tombe sur rien d’autre qu’un avis de décès. La vielles dame est décédée le 20 avril 2009. Pas de famille, juste des amis qui ont rédigé quelques lignes :
« Vivian Maier, originaire de France et fière de l’être, résidente à Chicago depuis ces cinquante dernières années, est morte en paix lundi. Seconde mère de John, Lane et Matthew Gensburg. Cet esprit libre apporta une touche de magie dans leur vie et dans celles de tous ceux qui l’ont connue. Toujours prête à donner un conseil, un avis ou à tendre une main secourable. Critique de film et photographe extraordinaire. Une personne vraiment unique, qui nous manquera énormément et dont nous nous souviendrons toujours de la longue et formidable vie. »
John Maloof continue ses recherches auprès de la famille Gensburg qui a recueilli Vivian Maier lors de ses dernières années de vie… Mais aussi auprès d’une soixantaine de personnes qui ont pu croiser sa vie. Grâce à son travail, on connaît une partie de la vie de Vivian Maier.
Vivian Maier, une enfance franco-américaine
Si le père de Vivian Maier, Charles, est américain, sa mère, Marie Jaussaud est française. Elle quitte la France pour tenter le rêve américain. Elle s’installe à New-York en 1901 et épouse Charles Maier en 1911. De leur union, naissent Charles William en 1920 et Vivian, en 1926. Les enfants ne vivent que quelques années avec leurs deux parents. Lors du divorce en 1929, Charles William est envoyé chez ses grands-parents paternels et Vivian reste auprès de sa mère. Durant les années 1930, Vivian Maier et sa mère rentrent en France et y restent près de 10 ans. En 1938, elles montent à bord du Normandie pour rejoindre New-York. Après la Seconde Guerre mondiale, Vivian est majeure et hérite de quelques propriétés et économies en France, elle se rend alors en France et prend ses premiers clichés.
Vivian Maier, une nounou d’enfer ?
A son retour, elle décide de ne pas retourner chez sa mère et s’installe à Southampton à New-York où elle devient nounou à partir de 1951. Ses économies lui permettent de s’acheter un appareil photo de qualité, un Rolleiflex. En 1956, alors que les enfants sont devenus grands, la famille la remercie et Vivian Maier part s’installer à Chicago et rentre au service de la famille Gensburg où elle a pour mission de prendre soin des trois garçons : John, Lane et Matthew. Pour Vivian qui n’aime pas particulièrement les enfants, encore moins lorsqu’ils sont plusieurs, ce n’est pas le rêve américain.
Elle reste uniquement car elle ne sait pas quoi faire d’autre et parce que la salle de bain accolée à sa chambre lui sert de chambre noire pour développer ses négatifs. Elle est parfois méchante et violente. Mais elle sait également être drôle et son caractère aventurier plait aux enfants de la famille, elle dissèque des animaux sous leurs yeux, leur fait visiter les ruelles les plus sombres de Chicago…. Et elle en profite pour immortaliser ce(ux) qu’elle croise.
Avec ou sans les enfants Gensburg, elle parcourt les rues de Chicago et capture les scènes de la vie quotidienne. Rien de beau, rien de laid, juste la vie, les habitants, les enfants, les travailleurs ou les drogués… L’artiste refuse d’enjoliver ou d’idéaliser les scènes, elle préfère capturer les moments et les personnes tels qu’ils sont avec leurs faiblesses ou leurs failles. C’est de la photographie humaniste. Vivian Maier utilise un Rolleiflex, un appareil photo qui s’ouvre sur le dessus et n’oblige pas le photographe à se faire repérer pour cadrer les sujets. Ainsi, beaucoup de ses sujets ignoraient sans doute qu’ils étaient photographiés.
Dans ses autoportraits, on ne devine rien d’elle, elle porte souvent un chapeau, ne sourit pas nécessairement, ne regarde pas toujours l’objectif et ne cherche pas à plaire. D’ailleurs cherche-telle seulement à être vue ?
Rien ne prouve que Vivian Maier a, un jour, montré ses photographies.
Entre 1959 et 1960, elle prend congé des Gensburg et entreprend un tour de monde, elle passe par le Canada, la Thaïlande, l’Egypte, le Yemen, l’Italie et retourne quelques semaines en France.
A son retour à Chicago, Vivian Maier travailles dans différentes familles pour financer ses appareils photos. Elle achète ses premiers appareils photo couleurs durant les années 1960 mais par manque de moyen, elle ne développe plus aucun de ses négatifs.
Lorsqu’elle s’installe dans une nouvelle famille, elle prévient, elle a besoin de calme, de place (elle possède une centaine de carton de matériel photographique et tout autant de négatifs ou clichés, soit plus de trente ans de pratique), et de temps pour pratiquer la photographie. S’il n’y a pas la place, elle loue un garde-meuble, s’il elle n’obtient ni le temps, ni le calme, elle claque la porte et change de famille. Durant toute sa vie, Vivian Maier reste en contact avec les Gensburg, elle assiste aux remises de diplômes, aux mariages et à tous les événements importants. Aussi lorsqu’en 1990, elle a se retrouve en difficulté pour payer son loyer, la famille l’installe dans un appartement et veille sur elle. Elle s’éteint le 20 avril 2009. Deux ans plus tôt, ses photos et négatifs étaient achetés par John Maloof.
A ce jour, près de 140 000 négatifs ont pu être retrouvés et développés et de nombreuses expositions ont pu avoir lieu pour rendre hommage au travail de Vivian Maier, génie anonyme de la photographie de rue.
Pour en apprendre plus, il y a ce livre et le documentaire de John Maloof : A la recherche de Vivian Maier
J’ai le même rapport avec la photo, mais le génie m’a oublié .
Très bel article .